J’étais venue y passer cinq jours : j’entame mon 6e mois à Chéticamp. Un quart de PVT passé dans ce village perdu de Nouvelle-Écosse ! C’est incroyable comme le temps est passé vite. Pour la première fois de ma vie, j’ai expérimenté, vu et vécu – de l’intérieur – un hiver canadien. Un hiver canadien qui m’aura fait connaître le vrai sens du mot « neige » dans tout ce qu’il a de beau et de… pénible.
De beau, d’abord. C’est sûr que cet immense tapis blanc qui déroule ses flocons à l’infini sur les montagnes du parc des Hautes-Terres du Cap Breton est merveilleux à voir. Il m’est arrivé de randonner ou de rouler sur le Cabot Trail (cette route mythique qui fait le tour du parc) par un grand ciel bleu et du soleil, alors que la neige recouvrait tout – sapins, cimetières, toits des maisons, panneaux de signalisation… C’était somptueux. En contrebas, des blocs de glace dérivaient dans la mer. Le coucher de soleil qui se reflétait sur la neige dorée était époustouflant de beauté ce soir-là. Et avec partout des sapins couverts de neige, c’est ambiance Noël six mois de l’année. Ça, c’est pour le côté beau.
Je regarde par la fenêtre de mon salon. Dehors, on pourrait croire à une publicité pour une lessive : tout est plus blanc que blanc. Le printemps est officiellement arrivé sur les calendriers mais il est encore tombé, il y a peu, 50 cm de neige en une nuit. Résultat : je suis restée bloquée trois jours chez moi, sur l’île de Chéticamp. Le chemin de terre qui relie ma maison à la route était beaucoup trop enneigé pour qu’un truck même muni d’une plow (merde, je me mets à parler comme eux : « … pour qu’une grosse voiture munie d’une sorte de grosse pelle à l’avant ») puisse passer. Tous ceux qui possédaient un backhoe (tractopelle) à Chéticamp étaient sursollicités. J’ai dû attendre trois jours que l’un d’entre eux ait le temps de venir déneiger mon chemin.
Les folles journées d’un hiver canadien
Ça, c’est donc pour le côté pénible. Vous en voulez d’autres ? J’en ai plein en stock, haha ! Allez, je vous en raconte deux seulement. La première : quand une tempête de neige et de vent s’abat sur Chéticamp un beau matin. Mon chemin de terre commence sérieusement à se remplir de neige. Un ami arrive avec son truck équipé pour venir gentiment déneiger chez moi. Quelques minutes plus tard, le truck ne bouge plus : il est pris. J’interromps mon petit-déjeuner pour aller déneiger le déneigeur : un comble. Première étape ? Réussir à sortir de chez moi et mettre un pied dehors : ma porte d’entrée est bloquée par 1,50 m de neige et un vent violent. Après dix bonnes minutes, encore en pyjama, je marche avec une pelle jusqu’au truck en m’enfonçant – sans exagérer – jusqu’à mi-cuisses, le tout par des rafales glaciales soufflant à 120 km/h. Rien à faire, le truck est trop « pris » dans la neige ; pas de 50-50 possible, il faut faire appel à un ami.
Une fois le truck dégagé, le déneigeur m’emmène faire des courses au village, car Jonathan (mon minivan) ne peut toujours pas franchir mon chemin impraticable. Sur le trajet, la visibilité frise parfois le zéro absolu : des « squalls » (des bourrasques de neige subites et imprévisibles) nous obligent souvent à nous arrêter net, au milieu de la route. Une voiture gît dans le bas-côté. Rien de grave. On s’arrête, comme beaucoup d’autres automobilistes passant par là. Une dizaine de personnes se retrouve à pousser, tirer, pelleter, tracter… et la voiture finir par sortir de son piège. Le conducteur tout content salue ses sauveurs et s’en va… sauf qu’au moment de repartir, c’et au tour de la voiture d’un sauveur d’être prise à son tour. Rebelote. Après mes courses, le déneigeur me dépose au pied de mon chemin. Je dois donc remonter ce foutu chemin impraticable, en m’enfonçant toujours à mi-cuisses, en portant mon carton de courses, le tout par un vent glacial soufflant de la neige qui me poignarde le visage. J’ai fini à quatre pattes sur les congères, en poussant mon carton. Quelle journée.
La deuxième anecdote se passe chez moi. Avec ce temps froid et humide, j’attrape une bonne crève qui me colle la fièvre. Ce samedi soir, une panne d’électricité survient à 18h30 : fini la lumière, le chauffage et la cuisinière. Il fait -16°C dehors. J’apprends que l’électricité devrait être rétablie vers 23h30. Je me fais à bouffer dans le noir, à la frontale, avec mon réchaud de camping, fais un feu dans le poêle à bois et monte finalement me coucher avec deux couvertures supplémentaires, une aspirine et un bonnet. Quelle soirée. Vers 6h du matin, j’ouvre un œil en me disant que là quand même – vraiment – j’ai froid. Le réveil posé sur la commode est toujours éteint : l’électricité n’est pas revenue. Par curiosité, j’installe un thermomètre dans ma chambre : il fait -1°C dans ma piaule !
Cette panne du samedi soir a finalement duré 24 heures et n’a pas amélioré ma fièvre : « Saturday Night Fever » ! 🙂
J’entrevois déjà les commentaires et les réactions : « la Frenchie qui vient au Canada, qui ne sait pas que l’hiver est long, froid et rigoureux, elle aurait dû choisir un PVT Australie », etc… En fait, je suis heureuse d’avoir vécu, expérimenté cette saison ici, au Canada. Ce n’est pas pour autant que je l’ai aimée. Comme beaucoup sûrement, j’ai hâte de voir des bourgeons, de jolies petites fleurs colorées percer le sol et des petits oiseaux bien plumés chanter le retour du printemps du haut de leur branche.
Mais je ne regrette pas ce temps passé ici ; ces cinq mois m’auront permis de comprendre un peu mieux la culture, les traditions et l’identité acadiennes, ainsi que le fonctionnement d’une petite communauté. Je ne m’étonne plus d’être invitée à souper (oui, souper, le soir) à 15h, de manger de l’orignal, d’être l’objet d’une rumeur tenace selon laquelle je serais en couple avec quelqu’un du village. Les gossip ici, c’est comme la neige : ça vous tombe dessus, ça colle et ça tient longtemps (et à la longue, c’est vraiment pénible).
C’est le prix à payer sans doute quand on vit dans une toute petite communauté… Combien de fois m’a-t-on conseillé de rester là pour l’été, tant tout est différent…Mais je tiens vraiment à traverser le pays cet été pour atteindre le Yukon. Ceci dit, en étant à Chéticamp à cette époque-ci de l’année, j’ai assisté à un événement qui reste(ra) sans nul doute l’un de mes meilleurs moments de mon PVT. J’ai nommé… la Mi-Carême.