Une pause en Gaspésie
Coucher de soleil à Grande-Grave, parc Forillon

Une pause en Gaspésie

Je vous dois des excuses. Cela fait bien longtemps que je ne me suis pas mise à mon ordi pour vous partager mon quotidien de pvtiste road-tripeuse… Je vous ai lâchement abandonnés au moment où, après avoir quitté le parc du Bic, mon voyage se poursuivait vers  la Gaspésie. Et la voilà, la coupable : la Gaspésie. Trois syllabes pour définir un joyau entre mer et montagne, un décor splendide où chaque matin au réveil est un émerveillement renouvelé. Mention spéciale au parc Forillon. Impossible de s’habituer à autant de beauté, de couleurs et de formes.

Mais laissez-moi vous raconter en détails ce qui m’est arrivé : vous allez découvrir comment une simple sandale pied-gauche peut changer le cours d’un PVT.

Dans mon dernier article, je vous racontais mes tout premiers tours de roues et mes premiers jours de road-trip en solo avec Jonathan, mon van. Le rodage a été un peu difficile : je ne vous ai pas caché mon appréhension et mon angoisse à l’idée de partir seule sur la route. Il m’est arrivé de crever de solitude, de ne parler qu’à une personne dans une journée – la caissière de l’IGA – et j’ai compris à mes dépens à quel point le partage avec les autres a du sens. Un peu comme Chris McCandless dans son bus en Alaska (Into the Wild), mais moi je n’ai pas mangé d’herbes toxiques. Alors, merci à vous de me lire, vous qui me permettez de partager ce type d’aventure (fin des violons).

Le parc Forillon, un trésor de beauté

Au mois de juin, une de mes connaissances québécoises allait passer ses vacances en Gaspésie et on devait se retrouver là-bas. Cette personne avait travaillé quatre années près du parc Forillon (élu l’un des plus beaux du Québec) et connaissait chaque recoin par cœur. L’occasion de visiter l’endroit ainsi était trop belle : nous nous sommes retrouvés à Cap-aux-Os, petit village réputé pour sa plage, situé sur la route 132 (qui fait le tour de la Gaspésie).

Mes premiers pas au parc Forillon ont été inoubliables. D’abord, une promenade en bateau pour aller voir les colonies d’oiseaux et de phoques. Une baleine à bosse a plongé juste à côté de nous et j’ai ainsi pu voir cette fameuse « queue de baleine » tant recherchée et espérée ; pendant ce temps-là, de l’autre côté du bateau, un rorqual commun nous aspergeait de son souffle.

 

L’après-midi, en marchant le long du sentier des Graves qui longe la mer en surplomb, mes yeux ne voyaient que deux couleurs : une végétation d’un vert éclatant, un ciel et une mer d’un bleu profond et inédit ; les vagues scintillaient de reflets d’or créés par un soleil de plomb.

Pendant que nous marchions vers le cap Gaspé, nos conversations étaient régulièrement entrecoupées de souffles de baleines qui partaient en plongée. Les fous de Bassan piquaient en flèche dans l’eau à 60 km/h. Une tête ou deux de phoques émergeaient de temps en temps. Je vais faire court : le parc Forillon est un écrin de beauté, pourvu qu’il y fasse beau.

J’ai poursuivi seule ma route vers la côte nord de la Gaspésie, en faisant le tour de la région dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Là-bas, la 132 se résume à une succession de petits villages essaimés tous les dix kilomètres et bordés d’anses. Entre, il n’y a rien d’autre que les falaises plongeant dans la mer, et nous, bien petits au milieu de ça.

J’aperçois en roulant un moment une grande croix blanche dominant une anse et je me dis que la photo serait belle. Je me gare et monte à pied à cette croix. En revenant à ma voiture, j’entends une voix :

« Elle est tu pô ben belle, not’ croix ? »
Je me retourne. Une dame âgée fume sa cigarette, assise sur les marches de sa terrasse.
– Oui, elle est belle.
– Viens t’en donc prendre un café avec moi. Entre. Assieds-toi à ma table, on va se présenter.

Une heure et demie plus tard, je savais tout d’Esther et Esther savait tout de moi. Belle rencontre que cette Gaspésienne au grand cœur !

Parc de la Gaspésie : je suis venue, j’ai vu, j’ai vaincu (et transpiré)

Puis vient le temps de visiter le parc de la Gaspésie, et d’affronter ce fameux mont Albert réputé si ardu et classé « Difficile + » : 850 m de dénivelé en 5,7 km. Une personne de la Sépaq m’avait avertie que le dernier kilomètre était cardio et qu’il ne fallait pas hésiter à faire des pauses. Je ne sais absolument pas à quoi m’attendre et commence la rando en discutant avec toute une famille, puis les abandonne au bout de quelque temps. Un couple m’accompagne ensuite pendant une bonne partie du chemin et nous passons ensemble le panneau « Sommet Mont Albert : 1 km ». J’ai du mal à croire que cela a été aussi aisé jusqu’à présent ; mais voilà donc la dernière portion tant redoutée. Je grimpe en prenant mon temps… Oui, les 400 derniers mètres sont velus, on marche dans la neige mais, grisée par l’approche de la victoire, je les fais sans sourciller.

Le sommet !!! C’est si beau !!! De la neige !! Des caribous en troupeaux au loin ! Une vue à 360° sur les sommets environnants ! Un ciel si bleu !! Des gens sont en train de pique-niquer, et nous décidons ensemble d’emprunter un autre chemin pour redescendre : le tour du Mont Albert, autrement dit 12 km de marche, au lieu de simplement rebrousser chemin !

Pas un instant je ne regrette ce choix. Les paysages sont malades, on descend (et c’est peu de le dire) dans un décor de roches rouges en longeant une rivière… Une personne m’avait dit que je n’étais physiquement pas capable de faire le tour du Mont Albert (17.4 km au total) ; cela me donne des ailes et je boucle la rando en un temps record. Merveilleuse  journée !

La randonnée du mont Ernest-Laforce – assez facile – permet en temps normal d’observer facilement des orignaux… et ce fut le cas. Incroyable de voir brouter à quelques mètres à peine de nous ces engins montés sur 1.60 mètre de jolies jambes, dignes d’Adriana Karembeu – en plus poilues.

Une sandale de perdu… un job de trouvé

Une semaine passe au parc de la Gaspésie. J’en ai emprunté toutes les routes, des plus plates aux plus… aléatoires. J’ai croisé les doigts en faisant 40 km de piste de gravillons pour relier deux secteurs du parc et m’éviter ainsi un détour de cent kilomètres. Pour info, si vous allez dans le coin, la route 16 n’est pas vraiment l’endroit où il faut crever… mais sachez qu’elle est en bien meilleur état que la 2 qui, elle, est complètement défoncée !!

Vient donc le temps de redescendre vers le sud et de me diriger vers le Nouveau-Brunswick. J’ai du mal à quitter le parc et franchis à regret le panneau « Au revoir » sur le bord de la route. Le temps est gris pluvieux, la route 299 monotone et, après 1h15 de route, me voici à Carleton-sur-Mer où je m’installe discrètement sur la place de l’église pour y passer la nuit. Je découvre alors qu’il me manque une sandale : je les enlève toujours juste derrière la portière de mon van pour ne pas mettre les pieds sur mon « lit ». Le pied gauche a dû tomber quelque part par terre sans que je m’en rende compte… J’appelle alors le lendemain le parc qui me dit qu’ils l’ont retrouvée.

Contre tout bon sens, je décide de faire demi-tour et d’aller la chercher. Je reprends la 299. Cent bornes de plus pour une godasse !! Peux pas le croire. Je récupère ma sandale pied gauche au bout de quelques heures et profite du wifi du parc en jetant un coup d’œil rapide aux prévisions météo : de la pluie est annoncée à Carleton et partout au Nouveau-Brunswick pour les six prochains jours. Pas envie de rouler sous la flotte et randonner trempée… Comment vous expliquer ? Une petite voix intérieure me dit de retourner à Forillon. Forillon ? Mais j’en viens ! La petite voix insiste. Coup d’œil à tout hasard sur la météo là-bas : du soleil. Ok… Cela n’a strictement aucun sens, mais je me sens vraiment poussée à retourner sur mes pas. Cette sandale perdue doit avoir un sens que j’ignore encore…

J’emprunte donc sous la pluie la route 198 où, là non plus, il ne ferait vraiment pas bon crever, surtout à l’heure tardive où je roule. Le trajet est bien plus long que je ne pensais et j’arrive pour finir dans la ville de Gaspé, située à 20 km du parc Forillon. Je m’installe dans un bar pour bouffer : la dernière place de libre est au bar, à côté d’une fille qui me dit instantanément bonsoir. Nous discutons, je lui explique le principe du PVT, lui parle de mon road-trip… Elle est admirative par le fait que je dorme dans mon van. Un type arrive de l’autre côté du bar. Lui et elle se connaissent et se mettent à parler, fort et à distance. Je ne comprends pas bien ce qu’ils se disent, jusqu’à ce que la fille me pointe du doigt en criant : « Elle ! Elle est dispo ! Et tout de suite ! » Mais de quoi parlent-ils ?? En réalité, ce gars recherche quelqu’un pour travailler tout l’été dans sa société de plongée située… au parc Forillon. Mes deux minutes d’entretien d’embauche se font donc au milieu du brouhaha, de bières et de musique et se résument ainsi : « T’as l’air en forme… J’ai un bon feeling. Si tu prends soin de mon entreprise et que le tout fonctionne, je m’assurerai que tu sois confortable pour que tu restes ici jusqu’à début septembre ».

Ma journée s’achève ainsi : j’ai retrouvé ma sandale et j’ai un job au parc Forillon.

L’apprentissage du métier de saisonnier

Je travaille donc en ce moment à « Plongée Forillon » avec Danny, mon boss. Le boulot consiste à équiper douze personnes toutes les deux heures avec des combinaisons de plongée, chaussures, gants, masque, palmes et tuba, cagoule…. avant de les emmener en Zodiac observer la colonie de phoques en snorkeling. Quand j’ai fait l’activité, un phoque est venu coller sa petite tête contre mon masque, avant de nager et danser autour de moi dans un merveilleux ballet… Les gens passent une heure complète dans l’eau. Dans le meilleur des cas, les phoques s’approchent, jouent avec eux, mordillent leurs palmes Dans le pire des cas, ils ont le mal de mer et ils dégueulent. Il faut récupérer et laver tout l’équipement quand les gens reviennent, sauf qu’entre-temps, un autre groupe de douze personnes est arrivé et il faut l’équiper pour le prochain bateau. Bref, c’est sans fin, c’est (souvent) le bordel et c’est drôle.

Je me sens à l’aise, même en anglais au téléphone. L’ambiance est détendue : personne ne gueule sur personne. La saison est courte : on bosse fort et dur, c’est speed et intense mais très bon esprit. Je sais aussi que j’ai le droit à l’erreur et qu’il n’y aura aucune remontrance si je me trompe sur quelque chose. Tandis qu’en France, j’imagine déjà le discours d’un patron : « Mais putain, Anne !! Pourquoi tu donnes des palmes de 12 alors qu’il faut des 8 ?!? T’es con ou quoi ??! Et tu me laveras le plancher ! » Mon boss est super gentil (nos échanges de SMS sont surréalistes, il faudrait que je les publie un jour pour vous montrer à quoi ressemble un patron au Québec et comment il s’adresse à son employé).

Je le savais déjà : le décor de mon lieu de travail est dingue. Le matin, il n’est pas rare d’éviter un lapin, un écureuil, une marmotte ou un lièvre sur la route. Voilà l’excuse parfaite si on arrive en retard au boulot : « Excusez-moi, il y avait un porc-épic sur la route ». (J’imagine  un costard-cravate de La Défense disant cela en arrivant à sa tour).

La journée, je rencontre beaucoup de touristes avec qui j’ai plaisir à parler en anglais, en allemand et même… en corse, une langue que j’avais commencé à apprendre. Il m’est arrivé aussi de voir des baleines « breacher » au loin, c’est-à-dire sauter complètement hors de l’eau. Et le soir, après le travail, en quittant le parc, le ciel se pare de couleurs mauve et pourpre et la lumière du soir donne à la mer des reflets dorés. L’heure de dîner vite fait et d’aller au lit avant 21h…

L’instant présent

Je n’irai donc pas cet été au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, aux Îles-de-la-Madeleine comme je l’avais prévu. Ce changement inattendu et rapide de planning m’aura déjà appris quelque chose : l’instant présent. Rien ne sert de penser à plus tard ni de faire des plans précis et définis, car tout peut changer en une fraction de chaussure perdue. Où je serai en septembre ? Aucune idée. Et où passer l’hiver ? No idea. Pour le moment, je me concentre sur mon travail. Le reste suivra forcément. Rien ne sert de planifier : je ne connais pas encore les circonstances qui entoureront mes prochains jours, ni les occasions qui se présenteront. En tout cas, cette pause estivale à Plongée Forillon me fait du bien. J’avais envie (et besoin) de me poser quelque temps au même endroit. Aujourd’hui, j’ai envie de reprendre la route ; je n’ai plus peur du tout, j’ai hâte, même. La saison va passer et il me tarde de voir les fameuses couleurs d’automne qui font la réputation des forêts québécoises.

La vie dans le van

Au final, je crois que j’aime cette vie, mais je n’avais pas pris le temps de le réaliser : m’endormir chaque soir sous les étoiles, la Lune en lampe de chevet. Moi qui ai quitté un tout petit 20m² en France, je ne pensais pas un jour vivre dans un 4m3 ! Cet espace réduit me pousse à l’essentiel : je n’ai pas besoin (ni la place) d’emmagasiner des choses inutiles. J’ai récemment pris la mesure à quel point j’aimais vivre dans le van : un soir, dans mon coin de village où je dors discrètement chaque soir, je me suis couchée sans mettre mes rideaux. Je voyais la Lune se refléter dans la mer et éclairer mon van de sa lumière blanche et j’ai observé les Perséïdes, ces pluies d’étoiles filantes, passer sous mes fenêtres, avant de fermer les yeux.

Le PVT n’est pas un Facebook photoshopé…

C’est sûr : je vais mieux que pendant mes premiers jours de road-trip. Mais je ne veux en aucun cas occulter les moments difficiles qu’on peut vivre. J’ai parfois l’impression qu’un PVT, c’est un peu comme une grossesse : on dit toujours que c’est extraordinaire, que ça change toute une vie, et on ferme les yeux sur les moments douloureux, durs, les ras-le-bol… Moi, je ne veux pas vous mentir. Un road-trip, ce n’est pas une GoPro sur le toit de son van, des photos où on écarte les bras dans un superbe paysage et youpi tralala. Oui, je kiffe. Oui, je pleure de temps en temps. Oui, je m’abreuve de couleurs, de paysages, de visages, oui les rencontres sont fortes, les décors splendides. Chaque jour en allant travailler au parc Forillon, je réalise à quel point j’ai de la chance de circuler au milieu des sapins, des lapins et des porcs-épics. Mais il arrive qu’une musique, une chanson, un parfum, me rappellent ma famille et mes amis et le fait qu’ils me manquent.

Et puis la vie dans le van, quand on voyage seule, n’est pas de tout repos : tout ce qui doit être fait est fait par moi. Et dans cette phrase, j’insiste sur deux mots : TOUT et DOIT. Autrement dit, je DOIS faire TOUT ce qui ne peut pas être remis au lendemain. J’ai toujours à faire et impossible de diviser les tâches en deux : faire les courses, ranger le van, trouver du wifi pour parler à la famille, repérer la route sur les cartes, lire les guides, vider la glacière, me faire à manger, porter les choses lourdes, trouver de l’eau et remplir mes bidons, conduire, faire la vaisselle, trouver où prendre une douche, laver mon linge, préparer mon van, installer mes rideaux… Le tout, en ce moment, en travaillant jusqu’à dix heures par jour !

Je ne me suis jamais faite emmerder par qui que ce soit en dormant dans mon van. Ha si ! Une fois ! C’était il n’y a pas si longtemps : je travaillais déjà au parc Forillon. Quelqu’un a frappé à ma vitre. Il était 10h du matin, je me faisais une bonne grasse matinée, c’était enfin mon jour de repos après six jours d’affilée à bosser non-stop :

« Toc toc toc ! »
– Meeeeeeerde, me dis-je intérieurement, on a découvert ma cachette où je dors chaque soir, c’est peut-être la police, je vais avoir une amende, on va me dire de partir, de décamper, je ne pourrai plus dormir ici ce soir, il faudra que je trouve une autre place………. »

J’entrouvre la portière, je suis en pyjama, les cheveux en vrac.

– Oui, monsieur ?
– Tout va bien là-d’dans ? J’habite ici, juste à côté, et je te vois tous les soirs dormir ici.  D’habitude, à c’t’heure-ci, t’es déjà partie depuis longtemps au travail, alors j’voulais savoir si tu allais bien ».

Keep calm and love Gaspésie !

 

Retrouvez ici la vidéo associée à cet article :

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